Le vaisseau venu du bout du monde.

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Le vieux pirate entra dans ses appartements sous le Gaillard d’arrière. Le martellement de son pas claudiquant frappait le bois de chêne. Il saisit une fiasque de Rhum sur le bord d’une table et en siphonna le contenu avant de s’essuyer la bouche d’un revers de manche. Enfin, si l’on pouvait encore appeler ça une bouche…

Il se lança alors dans un long monologue, contemplant le continent qui se dessinait droit devant lui par le hublot tribord.

[b][color=darkred]Oh comme j’ai attendu cet instant… Tu vas maintenant récolter les graines du mal que tu as semé, pays maudit! Je veux tous les voir crever la gueule ouverte, je veux tous les voir pendus par les boyaux et jetés aux monstres des mers! Ils nous ont maudits hahaha ils nous ont maudits et jetés dans les landes infernales mais finalement, nous en sommes sorti… Quel… Dommage… Whahahahahahahaha ![/color][/b]

[b][color=blue]Euh… Tout va bien Capitaine ?[/color][/b]

Il n’avait pas entendu l’importun ouvrir la porte et passer la tête.

[b][color=darkred]Hein ? Quoi ? Bon sang Norfeld frappez avant d’entrer! Je n’ai aucun problème. Mais eux… [/color][/b]

Il se tourna à nouveau vers la fenêtre les mains derrière le dos, pensif. L’homme n’avait pas quitté la cabine, il se retourna.

[b][color=darkred] Alors quoi ? Du balais espèce de marin d’eau douce! N’ais-je pas instamment demandé d’accélérer les manœuvres ? Je veux que nous soyons à quai à la tombée du jour, c’est clair ? [/color][/b]

[b][color=blue]Mais Capitaine, c’est que, l'équipage dort toujours… Et ne dit-on pas « au levé du jour » ? Ça ne veut rien dire, à la tombée du j…[/color][/b]

[b][color=darkred]QUOI ?! Espèce d’andouille ! Je dis ce que je veux, c’est moi le Capitaine ! Enfer et damnation j’vais aller réveiller moi-même cette bande de lavettes ![/color][/b]

Norfeld paru désemparé et effrayé, il fit quelques tours sur lui-même dans la panique, ne sachant trop que faire, puis se mit à suivre le Capitaine qui était déjà parti d’un bon pas dans le couloir. Il dévala les escaliers jusque dans la cale où dormaient les hommes, hors de lui.

[b][color=darkred]Allons tas d’faignants! Levez-vous! Qu’est-ce que c’est qu’cette bande de femmelettes ! Brans-le-bas de combat milles sabords ! Armez les canons, levez la grand-voile, changez les amures et souquez les artimuses bon sang ! Réveillons les morts par notre chambard et qu’ils marchent à nos côtés! Je veux voir Subirion à feu et à sang tas d’canailles! Allez on s’active et qu’ça saute ou je vous met tous au fer![/color][/b]

Un ramdam du tonnerre de Dieu suivit les quelques paroles bien trempées du vieux sac d’os. Autant le Capitaine les débectaient et il leur rendait bien, autant il n’y avait pas un seul homme dans la cale qui ait jamais ne serait-ce que songé à désobéir à ce tyran. Il était cruel comme on avait pu l’être avec lui de son vivant et à présent, fantôme parmi les vivants il n’était plus animé que par la vengeance et le désir de voir Subirion emporté dans les flammes de l’enfer! … Et puis il avait un truc qui devait pas tourner rond quelque part. Mais bon, on le respectait. Par crainte au moins.

Je réfléchissais, cloitrée dans ma loge depuis plusieurs heures. Il commençait de se faire tard, mais je n’avais pas sommeil. Je n’ai jamais sommeil. Je ne dors plus depuis si longtemps…

Parfois je me dis que j’aimerais sentir la douceur d’un coussin contre ma pommette, sentir la chaleur confortable et rassurante d’une couverture épaisse enlaçant mon corps. Mais dans mon monde tout n’est plus qu’hiver et glace. Je ne puis ressentir aucune émotion, aucun sentiment que l’amertume d’un vieux rêve qui a tourné au cauchemar… Et il ne se passe pas une journée sans que j’y repense…

J’ai ouvert ce livre, j’en ai fait la lecture à haute voix, j’ai fait ce sacrifice… Oh comme je le souhaitais, oh comme j’étais heureuse alors… Mais tel le mijolnir qui revient à la main de son maître, aucune stature sur cette terre ne peut employer tels maléfices sans le contrecoup du double tranchant…

Je suis immortelle mais ne vis pas pour autant. Car comme une coquille vide, je ne puis éprouver aucune émotion ni profiter d’aucun moment bien que je goûte encore le remord et les actes de violence…

[i]Je laisse échapper un soupir profond. Comme je suis lasse de vivre sans pouvoir mourir.[/i]

J’ai rejoins ce vaisseau fantôme, cette Brigantine, ressuscitée des flots impétueux du bout du monde par son savant Capitaine. Il est pour moi la seule chose qui m’offre nourriture d’esprit ou du moins quelque chose à quoi penser. Et puis, son Capitaine a su se montrer un homme galant ma foi et un bon compagnon de route depuis tout ce temps. Que ne m’a-t’il point raconté de salades pourtant, mais il est un homme qui a son charme. Que veut-il faire déjà ? Ah oui ! Détruire un pays… Pourquoi pas… Je n’ai rien prévu de mieux. Et puis je n’ai plus trop le choix à présent. Je fais partie de l’équipage. Maintenant je fais partie des [i]Abyssus[/i].

Les morts se sont réveillés.

Le bateau vogue lentement, ignorant la complainte du vent. Subirion approche. Ces nouvelles landes me sont inconnues… J’ai vécu sur un autre continent, loin, loin vers l’Ouest, là où le soleil plonge chaque soir pour s’endormir profondément jusqu’au lendemain.

Dans la pièce adjacente, j’entends le Capitaine faire les cents pas. Norfeld est parti sur le pont, probablement en train de préparer tout pour le débarquement. Les hommes sont nerveux. Les hommes sont toujours nerveux d’ailleurs. Ils font un boucan incroyable sur le pont, j’entends qu’on hurle des ordres et qu’on traine les pieds. Cela fait si longtemps que Tark prédisait ce jour que plus personne en vérité n’y croyait et tout l’équipage avait finit par penser qu’ils étaient en fait condamnés à naviguer pour l’éternité, que ce serait leur châtiment pour avoir accepté de servir sous les ordres du Capitaine damné, d’avoir accepté de faire partie des Abyssus… Mais à présent on sent que les esprits reviennent à la réalité. Le débarquement est proche vers cette « terre promise », cette terre où tout est permis pour les gens sans aveu que nous sommes !

[i]Je laisse échapper un petit rire de satisfaction[/i]

Je dois dire que je suis heureuse de retrouver terre. Non que je n’aime point la Brigantine, mais le contact du sol stable me manque un peu tout de même. Mon exil en mer aura eut ceci d’appréciable qu’il m’a permis de faire le point sur ce que j’ai fais de ma vie et de ma mort. La voix des morts m’est ici presque imperceptible et en soi ce n’est pas un mal… Mais les nouvelles me manquent du Royaume souterrain et sans son contacte, je n’ai plus aucun pouvoir... Et pour les récupérer, je suis prête à subir à nouveau ces tourments que la terre peut m’offrir.

Je suis peut-être aveuglée par le pouvoir mais c’est bien tout ce qu’il me reste à présent.

[b][color=darkgreen] « Terre en vue Capitaine » [/color][/b]

Cria l’homme à la longue vue du haut de son mat.

[b][color=darkred] « Je le sais sacrebleu! On la voit d’ici et depuis déjà plus d’une heure espèce de tire-au-flanc! » [/color][/b]

Les mains dans le dos, le Capitaine faisait maintenant les cents pas sur le pont. Hurlant dans l’oreille de quelques oisifs au passage. Subirion était si proche et il devenait nerveux! Ce vieux continent sur lequel il était, jadis, déjà passé et dont il avait été interdit de séjour par les Rois de Gwardia. La pendaison! La pendaison lui avait-on promis s’il revenait à Gwardia ou si on le prenait à voguer près de ses rivages! Il s’en moquait bien à présent! Des sorciers qu’ils avaient appelés pour lui lancer malédictions et le chasser, mais comme le grand pirate qu’il était, il avait tout juste réussi à piquer un navire à la garde royale pour s’enfuir vers un autre continent. Un beau pied-au-nez qu’il leur avait fait là. Il s’en félicitait encore. Cela s’était déroulé il y a si longtemps déjà et à présent, qu’en restait-til à présent sur Subirion ? Le damné des mers allait bientôt mettre le pied à terre et constater lui-même l’état de la vie sur ce foutu continent.

Il avait promis toutes les nations, pour la racaille des mers et les flibustiers de la marine royale! Il comptait bien s’amuser un peu ici et rappeler que nul ne peut bannir Tark, le grand Capitaine des abyssus, malédiction ou pas!

[b][color=darkred] « Norfeld, allez chercher la Dame dans sa loge. Dites lui que nous serons à quai dans très peu de temps. » [/color][/b]

Bien vite, le navire fut suffisamment proche des rivages de Subirion. Ils déposèrent l’ancre dans une petite crique au Sud de Gwardia et mirent une chaloupe à la mer pour atteindre la plage. A bord, pendant que Norfeld époussetait une vieille carte, quatre matelos ramaient dur pour faire avancer la barque. Aeternis, postée à l’arrière regardait, impassible, la mer tranquille tandis que sur la proue, le Capitaine prenait une pause de conquérant dans le soleil levant.


[b][color=darkred] « Souquez matelos, souquez ! » [/color][/b]

La chaloupe prit de la vitesse. L’autorité du capitaine était incontestable et à choisir, ses hommes préféraient s’endormir ce soir les bras endoloris et les épaules complètement ankylosées que le dos roué de coups de fouet. Le Capitaine s’en réjouissait. De fidèles matelos qu’ils étaient. En deux t’en trois mouvement la barque touchait terre. Tark le premier posa le pied sur le sable fin, observant la lisière de l’étrange forêt qui s’étendait entre eux et la capitale.


[b][color=darkred] « Bien ! Ouvrez l’œil pirates, j’ai l’impression que les lieux ont étés quelques peu souillés par une bestiole encore tout droit sortie des flammes de l’enfer depuis ma dernière visite ! Whahahahahaha, cette aventure me plait déjà ! » [/color][/b]

Il s’éloigna un peu vers la lisière. Les regards des matelos se croisèrent. L’humour déplacé du Capitaine ne les amusait pas vraiment. Norfeld, lui, s’affairait à descendre les affaires à déjeuner du Capitaine pour lui dresser une table digne de ce nom. Le Capitaine n’allait jamais nulle part sans son service personnel. A part lorsqu’il s’agissait d’aller boire une pinte à la taverne du coin bien sûr… Les tavernes tiens ! Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus mis les pieds dans une taverne !

Plotch

Tark souleva sa botte qu’il venait d’enfoncer dans une sorte de mare gluante.


[b][color=darkred] « Que diable ! Saleté de foutoire de mare de boue ! Ca empeste ici, que font-ils ces gens de Gwardia ? Il me semble avoir connu des Rois plus soucieux de leur environnement ! Des bottes quasi neuves, ils vont me le payer, Norfeld, une serviette ! » [/color][/b]

Mais soudain, un grand craquement retentit droit devant lui. À la lisière de la forêt, une grande ombre avançait vers lui sous les arbres. Il plissa les yeux, il n’avait jamais vu ça, on aurait dit, comme un arbre avec des jambes… Un arbre énorme ! Et son sabre qui lui semblait soudain ridiculement petit, qu’allait-il faire ?