Graffitis d'une femme des cavernes

[b][u]I – Enfance brumeuse[/u][/b]

Nuit. Quelques étoiles scintillantes perçant le ciel nocturne.
Vent. Froid. Glacial.
Flocons de neige. Blancs. Purs.
Silhouette. Petite. Maigre. Qui s’approche d’une poubelle au couvercle entrouvert.

[b]-Manger...[/b]

Voix rauque. Désespoir.
Petites mains qui s’agrippent au rebord d’acier, et appuient jusqu’à ce que la boîte à ordures tombe et ce fracasse sur le sol.

Ombre au loin. Silence.

...

Pleurs dans les ténèbres. Larmes de petite fille. Coups qui pleuvent. Balafre qui ce forment une nouvelle fois sur son corps, les dernières blessures à peine cicatrisées.
Lumière blanche perforant l’obscurité. Ombre qui glisse lentement sur le sol. Flaque de sang.
S’échapper. Partir. S’en sortir.
Glissades sur les plaques de glace. Grêlons qui remplacent la neige. Et tombent précipitamment. Douleur. Morale. Physique.
Abri. Maison...Caverne.
Chemin qui mène en dehors de la ville. Avance difficile. Souffle court.
Arrivée. Refuge. Enfin...

[b][u]II- Pensées[/u][/b]

Douleurs qui se réveillent une nouvelle fois. Cri déchirant dans la nuit. Puis, le silence, pendant de longues minutes.

Enfin, quand je n’ai plus mal, je me redresse, et je jette quelques brindilles dans le feu. Songeuse.

Cela fait un bon mois que j’ai traversé le portail qui est apparu sur la plaine d’Isélia. Rien ne m’interdisait de découvrir de nouvelles contrées. Et rien ne me retenait de rester sur des terres que je hais depuis mon enfance.

La haine. Un poison qui s’est déversé si longtemps dans mes veines. Depuis ma naissance.

Je regarde les flammes qui s’élèvent devant moi. Je me suis installée dans une grotte, inconnue, pour la nuit. La combustion du bois tient éloigné les bêtes sauvages. De toute façon, j’ai la même senteur qu’un animal.

Ces terres ne sont pas si mal que ça. Pour l’instant...Je ne regrette pas d’être venue. Remplies de bestioles, certes, mais qu’importe ? Je suis capable de me défendre.

Je pose ma main sanglante à l’emplacement des battements de mon cœur.
Mon cœur est froid. J’ai dressé un barrage de pierres incassables tout autour. Pour ne plus avoir peur.
Mon cœur est ouvert. Les pierres de marbre peuvent se volatiliser pour les personnes amies.
Mon cœur peut éclater. Dans un coin sombre. En silence. Quelques larmes de sang, séchées au bout de quelques instants...

[b][u]III- Une femme ou...un monstre ?[/u][/b]

Une soirée.
Les membres de l’Aube Nouvelle sont assis autour de la table à manger, près de la cheminée. Tandis que je suis dans la cuisine avec Dashan, à préparer de quoi nourrir une dizaine de bouches.

Je songe à tout ce qui c’est passé depuis mon arrivée ici. Les événements ce sont déroulés si vite. Je connais à présent plusieurs recoins de ces terres, alors qu’avant tout était inconnu pour moi. Puis, je fais partie d’une famille formidable. Où l’on m’accepte telle que je suis.

[b]-Mais pour combien de temps...[/b]

Mots qui s’échappent de mes lèvres. Je mélange encore plus vite la soupe de légumes dans le chaudron, et provoque du bruit en frappant la louche sur les bords intérieur.

Je ne veux pas qu’ils sachent. Jamais.

Ma main se lève, et je laisse un doigt caresser l’estafilade à mon épaule. Pourquoi moi ?
Puis je jette un coup d’œil derrière les vitres de la fenêtre. Une simple vérification.

Je lâche l’ustensile de cuisine, les yeux toujours fixés au dehors. Dans le ciel.

Vite. Il faut que je fasse vite.

Je ne veux pas qu’ils sachent.

Je réagis enfin, après une longue minute d'immobilité. Et je cours vers l’entrée, la peur au ventre. J’ouvre la porte, et annonce d'une voix enrouée à mes compagnons.

[b]-Je...dois faire quelque...chose. Bonne...soirée...[/b]

Puis je sors au dehors. En plein milieu de la nuit. Et je m’éloigne de la demeure, en courant. Combien de temps ai-je encore avant que... ? Je ne préfère pas savoir. Tout ce qui compte, c’est que je sois rapide.

Je sens le vent glacé qui fouette mon visage. Mes mains qui étaient brûlantes tout à l’heure, sont désormais engourdies. Pourquoi faut-il qu’il fasse toujours aussi froid à chaque fois que... ? Je serre la mâchoire. Ce n’est pas le moment de ce poser la question. Question si...futile.

J’atteins enfin le rivage. Retire ma brassière et mon pagne, que je cache sous une énorme branche d’arbre. Je retrouverais mes vêtements ici. Quand cette nuit pénible sera finie.

Je mets un pied dans l’eau. Puis l’autre. Puis je m’enfonce jusqu’aux épaules dans ce glaçon de lac. Et je reste crispée pendant toute la traversée, nageant comme je le peux.

Enfin, le gros rocher se fait voir au loin. C’est le seul endroit que j’ai trouvé. Rester sur terre serait trop dangereux. Je pourrais faire des blessés. Ou...des morts. Puis, je serais découverte. Chassée. Poursuivie, jusqu’à la fin de mes jours.

A peine suis-je sur le rocher, hors de l’eau, que je sens ma peau s’étirer. Je lève les yeux vers le ciel. C’est la pleine lune.

Je ferme les yeux. Je ressens mes ongles pousser. Ou plutôt, mes griffes. Des poils sortent de tous les pores de ma peau. Un museau prend la place de mon nez. Des crocs poussent à grande vitesse dans ma gueule, qui a pris la place de ma bouche.
J’ai mal. Je hurle. Pour tenter d’évacuer ma souffrance. Pour que la transformation soit moins douloureuse.

Mais ce n’est pas un hurlement de femme qui s’élève. C’est un hurlement de monstre.

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